(…) Pourtant la fausse
parole transmettra entre les lignes un éclat de la vérité. “Ce ne sont pas les
paysans qui se soulèvent, c’est Dieu !” – aurait dit Luther, au départ,
dans un cri admiratif épouvanté. Mais ce n’était pas Dieu. C’étaient bien les paysans
qui se soulevaient. À moins d’appeler Dieu la faim, la maladie, l’humiliation,
la guenille. Ce n’est pas Dieu qui se soulève, c’est la corvée, les censives,
les dîmes, la mainmorte, le loyer, la taille, le viatique, la récolte de
paille, le droit de première nuit, les nez coupés, les yeux crevés, les corps
brûlés, roués, tenaillés. Les querelles sur l’au-delà portent en réalité sur
les choses de ce monde. C’est là tout l’effet qu’ont encore sur nous ces
théologies agressives. On ne comprend leur langage que pour ça. Leur
impétuosité est une expression violente de la misère. La plèbe se cabre. Aux
paysans le foin ! aux ouvriers le charbon ! aux terrassiers la
poussière ! aux vagabonds la pièce ! et à nous les mots ! Les
mots, qui sont une autre convulsion des choses.
Eric
Vuillard, La guerre
des pauvres, Actes Sud, 2019
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